Les transferts de fonds : un mécanisme de régulation de l’économie informelle en Haïti

Dans les pays en voie de développement, les réseaux d’économie informelle se voient comme des espaces autonomes dont la fonction principale est de fournir des emplois, des biens et des services à une bonne partie d’une population, exclue du secteur formel en raison du faible niveau de son revenu (Lamaute-Brisson, 2002). D’autre part, ce secteur, dans un cadre logico-légal, est facilité par la mouvance du phénomène de tertiarisation de l’économie tout en échappant à la rigueur et au contrôle fiscal de l’État.
En Haïti, cette pratique est encore plus visible par rapport à la dynamique des activités économiques. Partout on constate le poids du secteur informel dans la réalité économique du pays. Cette extension peut être expliquée par plusieurs facteurs comme l’orientation de l’économie nationale, la paupérisation urbaine, le sous-emploi massif, la facilitation d’accès à ce marché etc (Paul et al., 2011). Dans cette perspective, l’informalisation de l’économie haïtienne est devenue tellement structurelle qu’elle se présente jour après jour sous des visages différents et ne cesse de s’étendre.
Hormis toutes ces considérations, l’aspect du financement de cette économie informelle constitue une préoccupation particulière. Il ne s’agit pas seulement d’énoncer les éléments qui ont facilité l’émergence de ce secteur, mais l’exercice demande une analyse plus fine du système qui assure sa continuité dans le pays. A ce point, l’un des principaux mécanismes de sa régulation est le transfert de fonds sans contrepartie de la diaspora, lequel alimente l’extension du marché informel en Haïti. Pour démontrer cette approche, nous avons divisé ce travail en trois points. D’abord nous présentons l’évolution des transferts de fonds dans le pays, ensuite nous exposons les transferts de fonds comme un facteur d’investissement et enfin nous présentons les transferts de fonds comme moyen de financement de la consommation des produits importés.
Evolution des transferts de fonds en Haïti
Selon le rapport de la BID en 2007, l’Amérique latine et la Caraïbe concentrent les plus importants flux de transferts effectués par les migrants internationaux, et ceux effectués vers Haïti étaient parmi les plus importants de la Caraïbe. Il est à relater que les transferts de fonds qui entrent dans le pays ne cessent de croître. De 108 millions de dollar en 1995, les transferts de fonds avaient déjà dépassé la barre d’un milliard de dollars en 2004 (Orozco, 2006). Selon Banque Mondiale, ils étaient à 2.2 milliards de dollars en 2012. En 2017, le pays a reçu 2.7 milliards de dollars, une augmentation de 400 millions par rapport à l’année précédente. En 2018, le montant est estimé à 2 986 millions de dollars, soit une augmentation de 9,7% par rapport à l’année 2017.
Les transferts de fonds comme un facteur d’investissement
Les transferts d’argent sont considérés comme une source d’épargne. Or l’investissement vient de l’épargne ; donc ils peuvent favoriser l’investissement. En effet, lorsque les transferts ne sont pas utilisés dans des investissements en capital humain (frais de santé et de scolarité), ils sont surtout alloués à la création des activités économiques ou commerciales. Etant considérés, pour une grande partie, comme des transferts de survie, les bénéficiaires ont tendance à investir cet argent dans la création d’un petit commerce, la construction d’un restaurant, d’une boutique etc. Ce qui va renforcer le secteur informel, d’autant que celui-ci est facile d’accès et exempt de toute mesure administrative et fiscale de l’Etat.
Les transferts de fonds : moyen de financement de la consommation des produits importés
Les transferts de fonds représentent aussi une source de revenu supplémentaire pour les bénéficiaires. Donc, ils augmentent leur revenu disponible, de surcroit leur niveau de consommation. Cependant, les transferts d’argent en Haïti sont surtout alloués à la consommation des biens et des services importés, produits que l’on trouve généralement sur le marché informel. C’est dans cette logique qu’on comprend que les transferts de fonds augmentent le revenu national et financent une partie des importations.
Tout compte fait, les transferts de fonds en Haïti seront toujours considérés comme une manne financière. Cependant, le vrai problème réside dans l’usage qu’on en a fait durant toutes ces années car ils auraient pu être utilisés en partie pour financer la relance de la production nationale en plus de l’investissement en capital humain. Mais les conditions pour une utilisation intelligente et optimale de ces ressources doivent être créées par les autorités publiques (amélioration de l’environnement global des affaires, cadre incitatif des investissements dans les secteurs productifs, etc.) s’impliquant dans des partenariats éclairés et éclairants avec le secteur privé des affaires au sens large. Sans de pareilles conditions réunies, les transferts de fonds qui ont tendance à s’accroitre rapidement au fil des années continueront à être utilisés pour maintenir le pays dans un cercle vicieux d’économie d’importation qui est préjudiciable à la réduction de la pauvreté et au développement économique sur le long terme.
Sources
Lamaute-Brisson, Nathalie (2002). L’économie informelle en Haïti : de la reproduction urbaine à Port-au-Prince, Paris, L’Harmattan
Orozco, Manuel (2006). Understanding the remittance economy in Haiti, The World Bank, Washington, D.C.
Paul Bénédique, Daméus Alix et Garrabe Michel (2011). « Le processus de tertiarisation de l’économie haïtienne », Etudes caribéennes, vol. 19, mis en ligne le 20 mai 2011, URL : http://etudescaribeennes.revues.org/4728.
Jude ROSIER, Economiste et Sociologue Email : jrosier003@gmail.com
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