La guerre permanente entre la République d’Haïti (RH) et la République Dominicaine (RD) : 2 b. LA GUERRE DE L’EAU (la question politique)

Le deuxième texte sur la guerre de l’eau va aborder la question politique. Celle-ci embrasse tous les problèmes relatifs à la conquête et l’exercice du pouvoir. Etant donné que les affaires politiques sont les affaires de tout le monde, les hommes politiques de la RD ont appris qu’on ne peut avoir la maitrise du pouvoir politique en RD sans passer par l’anti-haïtianisme, l’antifirminisme et l’anti-dessalinisme ou le rejet du modèle d’indépendance de la RH. Il convient alors d’analyser ces trois paramètres de comportement au regard de la guerre de l’eau.

Credit: radiotelevision2000.com
La guerre permanente entre la République d’Haïti (RH) et la République Dominicaine (RD) : 2 b. LA GUERRE DE L’EAU (la question politique)

D’abord, l’anti-haïtianisme. Y avait-il un autre choix autre que l’anti-haïtianisme ? La RD avait le choix d’assumer la vérité historique ou de la rejeter. Dans le premier cas, ce serait admettre que la RD a pris son indépendance de la RH, que l’esclavage a été aboli dans la partie Est de l’île par la RH et que la RD ne pouvait exister avant 1844. Donc, la RH ne saurait occuper la RD qui n’existait pas encore avant 1844. En effet, toute l’île était française après l’entrée triomphale à Santo Domingo de Toussaint Louverture en 1801. La France avait le contrôle de l’île entière après la capitulation de Louverture. En 1804, Dessalines a proclamé l’indépendance de l’île entière et a échoué dans sa tentative de reprendre le contrôle de la partie Est du territoire encore sous domination française. De 1822 à 1844, le Président haïtien, Jean-Pierre Boyer, a récupéré une terre haïtienne après que les Haïtiens de l’Est (toutes ethnies confondues) eurent chassé les derniers Français de l’île. Donc, en 1844, ce sont des Haïtiens qui se sont détachés de la RH pour créer l’Etat Dominicain. Cette version de l’histoire est jugée politiquement incorrecte pour les Dominicains qui veulent conquérir le pouvoir. Il faut donc rejeter la susdite version et pour y arriver, il convient de cultiver l’anti-haïtianisme. Ce dernier a donc pour objet de s’opposer aux Haïtiens, tâche relativement facile parce qu’elle est encouragée par les Haïtiens, eux-mêmes, qui n’ont pas su assurer la grandeur de leur pays. S’il est vrai qu’on ne se définit qu’en s’opposant, la RD est forcée de faire face à la RH pour exister.

Autrement dit, le politicien dominicain est condamné à jouer la carte de l’anti-haïtianisme. Ce dernier n’est donc pas un travers exclusif des ultra-nationalistes dominicains. L’anti-haïtianisme est la raison d’être de la RD, vu sous cet angle. Une telle situation risque de perdurer tant que la RH n’est pas devenue un interlocuteur respectable et respecté, avec un développement socio-économique comparable ou supérieur à celui observé dans la RD. Voilà pourquoi il faut arrêter de penser qu’il n’existe qu’une poignée d’haïtianophobes dominicains et que la classe politique de la RD est, dans sa grande majorité, haïtianophile.

Ensuite l’anti-firminisme. Anténor Firmin, c’est le politicien et homme de science haïtien, de renommée internationale dont l’ouvrage remarquable intitulé « De l’Egalité des races humaines » a été rédigé pour répondre au sieur Gobineau qui avait écrit « De l’Inégalité des races humaines ». Tandis que la pensée de Firmin allait dans le sens de l’histoire universelle, celle de Gobineau évoluait à contre-courant de la marche de l’humanité. Les idéologues dominicains, comme Joaquim Balaguer dans « La Isla al révès » et ses nombreux disciples ont choisi Gobineau et laissé tomber Firmin. Aujourd’hui encore, Manuel Nuñez, prix du Livre Dominicain 2002, a soutenu que tout le malheur de la RD est d’être limitrophe de la catastrophe historique incarnée par la RH. Surtout, n’allez pas croire que Balaguer, c’est du passé. Ce que j’appelle, pour faire court, l’anti-firminisme est le rejet par la RD du principe universel de l’égalité des races humaines.

La notoriété de Jean Price-Mars (Ainsi parla l’oncle) est bien établie en Haïti, comme étant celui qui a montré aux Haïtiens la voie à suivre pour revendiquer leurs racines africaines. Mais, Price-Mars est moins connu comme l’auteur de « La République d’Haïti et la République Dominicaine », ouvrage de référence à travers lequel il a déconstruit magistralement le mythe de la supériorité des blancs dominicains sur les nègres haïtiens. Evidemment, force est d’admettre que tous les Dominicains ne sont pas racistes. Mais, le problème politique demeure, car la seule façon de justifier l’exploitation d’un homme par un autre, c’est de montrer que l’oppresseur est supérieur à l’opprimé. Ceci est valable et pour la RH et pour la RD. Des deux côtés de la frontière, les politiciens exploitent le paysan haïtien soit à travers le jeu des contrats léonins (le bracero), soit à travers l’astuce des sans papier (l’ouvrier clandestin). De la population des déshérités, la RH en fait des laissés pour compte ; la RD en fait des apatrides.

Et enfin, le rejet du modèle d’indépendance d’Haïti, que nous appellerons l’anti-dessalinisme. Il y a eu deux modèles d’indépendance produits par les deux premiers pays indépendants du Nouveau Monde : le modèle américain de 1776 et le modèle haïtien de 1804. Le modèle américain symbolise la continuité de l’ordre esclavagiste et colonialiste tandis que le modèle haïtien signifie la rupture avec l’esclavage, le racisme et la colonisation. Par la suite, tous les pays du continent ont adopté le modèle américain et rejeté le modèle haïtien. La RD se retrouve alors face à un choix difficile : lequel des deux modèles adopter ? Or, la RD avait déjà rejeté le modèle haïtien, en choisissant l’anti-haïtianisme. Donc, il ne lui reste plus qu’à opter pour le modèle américain. La RD, hispanophone, se rapproche alors de l’Espagne, ne pouvant se réclamer ni de la France ni de la RH. Elle rejoint ainsi des organisations régionales de l’Amérique Latine sans négliger totalement son appartenance à la Caraïbe. La RD tente de modifier le modèle américain en recherchant une filiation indienne. Alors, le mythe est né : le Dominicain est de souche espagnole et/ou indienne, conformément à l’esprit de l’antidessalinisme.

Ainsi, pour s’épanouir, l’anti-haïtianisme, l’anti-firminisme et l’anti-dessalinisme ont besoin, non seulement de l’espace réel dont le libre accès est régulé par la frontière terrestre, mais aussi de l’espace virtuel qui est sous l’emprise de la frontière invisible, telle que décrite par les diplomates espagnols du 19ème siècle (la frontière invisible étant l’ensemble des différences réelles ou imaginaires, mises en avant pour distinguer les deux peuples selon leurs valeurs et leur culture). Or, la plupart des activités de la zone frontalière tournent essentiellement autour de potentiel migratoire et des disponibilités en eau. L’émigration représente les fondations de la guerre démographique tandis que les ressources en eau constituent les enjeux de la guerre de l’eau. Les projets de dominicanisation de la zone frontalière trouvent leur justification dans de telles prémisses et cela depuis le massacre de 1937 jusqu’à l’érection du mur d’Abinader. Côté RH, le Président Estimé avait commencé à poser les bases d’une haïtianisation de la zone frontalière après que l’argent payé par Trujillo, suite au massacre de 1937, eût servi au financement de colonies agricoles pour accueillir les rapatriés de la RD. Aujourd’hui, la zone frontalière est devenue un espace stratégique où se joue le destin des deux républiques. En matière d’aménagement du territoire, il est temps qu’on le comprenne afin de voir l’espace haïtien avec d’autres yeux.

Jean André VICTOR, 21 /6 /21


1 commentaire

Contributions

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Leo Rogner

6 août 2022, à 09:40 AM

Cher Monsieur Jean André VICTOR ! Vous avez indirectement trouvé la solution aux plus gros problèmes de l'île dans votre article ! En utilisant les rivières de l'île. Collecte des précipitations dans des réservoirs, leur utilisation pour l'énergie électrique, l'irrigation des terres agricoles, comme réservoir d'eau potable ! Cela assurerait l'avenir des deux parties de l'île !


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