Qui a assassiné l’ex-président Jovenel Moïse? 4. Le cas de la République Dominicaine (RD)

Plus j’avance en âge, plus je déplore le fait que l’enseignement de l’histoire et de la géographie de l’île d’Haïti (IH) ne soit pas obligatoire au sein de l’école haïtienne et de l’école dominicaine. Faute de l’avoir fait, les deux peuples semblent ignorer qu’il y a trois territoires physiques à gérer sur l’île d’Haïti : la partie Ouest (la RH), la partie Est (la RD), lesquelles sont des réalités politiques et la biogéographie de l’île entière qui est une réalité écologique. En outre, le Tout étant plus grand que la somme de ses parties, il est clair que IH est > RH + RD. C’est en raison de ce principe de totalité territoriale que je dis souvent, dès qu’une épidémie arrive sur l’une des parties Est ou Ouest de l’île, il est vain de vouloir chercher à la contenir dans une portion du territoire, en fermant, par exemple, la frontière politique alors que la frontière écologique reste ouverte. Ceci est valable pour la peste porcine africaine, pour la grippe aviaire, pour le choléra et pour la Covid 19. Il semble que c’est aussi valable pour les assassinats politiques. Le journal Le Nouvelliste du 26 juillet 2021 ne dit-il pas que, selon la PNH, l’assassinat du Président Moïse a été planifié en RD ?

Rafael Leónidas Trujillo Crédit Photo : Perspective Monde
Qui a assassiné l’ex-président Jovenel Moïse? 4. Le cas de la République Dominicaine (RD)

La RD n’a t- elle pas été à l’origine de l’assassinat du Président Salnave ? En 1870, le Président Haïtien Sylvain Salnave s’est enfui en RD, après avoir été mis en déroute par un groupe armé, puis a été expatrié par les autorités dominicaines d’alors, jugé sommairement par un tribunal militaire à Port-au-Prince qui avait offert une prime pour sa capture, et ensuite fusillé sur les décombres du palais national préalablement incendié. Le camp Salnave (RH) / Baez (RD) s’opposait, à l’époque, au camp Saget (RH) / Cabral (RD). Le Général dominicain José Maria Cabral a donc livré Salnave au gouvernement de Saget comme un vulgaire criminel. Ce qu’en dit le Général Gregorio Luperòn, qui allait devenir Chef d’Etat Dominicain durant la période 1874 /1880, suffit pour faire comprendre le jeu des alliances et mésalliances entre la RH et la RD. Dans sa note de protestation au Président Cabral, Luperòn écrivit : Salnave aurait pu être fusillé sur le sol dominicain mais pas vendu pour 5 000 pesos. Le Général Cabral a violé profondément le sacré droit d’asile, le respect de la neutralité territoriale et ce qui est pire encore, a souillé pour toujours l’honneur de nos vaillants citoyens de Neyba, les faisant accepter de l’or pour du sang. Roger Gaillard dans son ouvrage « la République Exterminatrice. Le cacoïsme bourgeois contre Salnave », paru en 2003, a raconté, avec force croustillants, le film complet de ses événements
inimaginables.

Le père fondateur de la RD, Juan Pablo Duarte, mort en exil, a décliné l’honneur de devenir le premier Président Dominicain en lieu et place de Francisco Rosario Sanchez (3 jours au pouvoir), suivi de Thomas Bobadilla (100 jours), de Francisco Sanchez à nouveau (33 jours) et de Pedro Santana qui a réussi à passer trois ans au pouvoir (1844- 1848). Puis, la RD a connu une vingtaine de Présidents qui ont passé moins de 300 jours au pouvoir jusqu’à Buenaventura Baez en 1868. Sous un autre angle, l’Institut Dominicain de Généalogie a établi que la RD a connu quatre Chefs d’Etat d’origine haïtienne : Gregorio Luperòn (1879–1880), Ulysse Heureaux (1888 – 1896), Leonidas Trujillo (1930 – 1938) et Joaquin Balaguer (1986 – 1996), ces deux derniers étant, aussi paradoxal que cela puisse être, les pires détracteurs de la RH. Le record de durée au pouvoir est tenu par Heureaux et Balaguer. Parmi ces quatre Présidents d’origine haïtienne, deux ont été assassinés. Ce furent Ulysse Heureaux qui parlait couramment le français et le créole et Rafael Leonidas Trujillo, l’auteur intellectuel du massacre, en 36 heures, de plus de 7 000 Haïtiens (le chiffre exact étant inconnu). L’histoire de ce génocide est remarquablement bien analysée par Suzy Castor dans son ouvrage « Le Massacre de 1937 », publié en 1988. En contrepartie de ce crime odieux, Trujillo avait versé, à des fins de réparation, des indemnités de l’ordre 750 000 dollars au Président Vincent. Cette fois, c’est la RH qui a accepté l’or pour du sang. Les relations haïtiano-dominicaines ne sont-elles pas dominées par l’or et le sang ?L’assassinat de Ramon Caceres répond-il à la même logique ?

Les historiens dominicains distinguent quatre périodes dans l’histoire politique de la RD : la 1ère république 1844 – 1861 ; l’annexion à l’Espagne et la guerre de restauration 1861 –1865 ; la deuxième république 1863 – 1915 ; l’occupation américaine 1916 – 1922 ; la troisième république 1922 – à date. Côté RH, le schéma est plus ou moins semblable : le premier Empire et la scission Nord et Sud 1804 – 1820 ; la 1ère république, la réunification de la partie Ouest et l’unification de l’ile 1820 – 1843 ; le second empire 1847 – 1859 ; la deuxième république 1859 – 1915 ; l’occupation américaine 1915 – 1934 ; la troisième république 1934 – à date. La RH a cessé d’intervenir militairement sur le territoire de la RD à la fin du second empire. La RE (la République Etoilée) a occupé militairement les deux pays, pour donner naissance, des deux côtés, à une 3ème république dont il est vain de
vouloir dissocier les deux histoires politiques. Y a-t- il un lien entre les assassinats des Présidents à l’intérieur d’un même pays et des relations entre ces mêmes assassinats dans les deux pays vus comme un Tout ? L’assassinat de Jovenel Moïse est-il inscrit dans le cadre du système qui fait les événements et les hommes des deux côtés de la frontière, selon un processus itératif (les événements font les hommes tandis que les hommes font aussi les événements) ? On ne peut comprendre la RH et la RD sans interroger l’histoire, la géographie et l’écologie de ces deux territoires dont l‘influence sur le canal de Panama est réduite à néant par la présence américaine, côté Guantanamo à l’Ouest et côté Porto Rico, à l’Est.

 

Jean André VICTOR, 26 /07 /21

 


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