Et si le dossier de Jovenel Moïse servait de prétexte pour refonder la justice ?

Deux mois après son assassinat, les partisans, alliés et proches de Jovenel Moïse ont gagné les rues de Port-de-Paix et de Port-au-Prince pour exiger justice. Colis encombrant pour la justice haïtienne, patate chaude entre les mains du juge d’instruction, le dossier de Jovenel Moïse ouvre la voie à des débats sur le fonctionnement de la justice haïtienne.

Et si le dossier de Jovenel Moïse servait de prétexte pour refonder la justice ?

Outre les mots d’ordres de grèves récurrentes,  des manques de ressources humaines  et  matérielles, la justice haïtienne est rongée  par la corruption. Me Michel-Ange Bontemps dans son texte intitulé « La justice haïtienne : structure,  défis et Perspective » publié en juin 2008, a fait un brillant  analyse de la justice haïtienne  et surtout de ses « défaillances découlant du problème de l’accès à la justice, de la lenteur des procédures et de la corruption ».

Le rapport d’enquête  commandée par l’ULCC n’a pas été  mis de côté par le praticien  du droit.  » La justice haïtienne paraît être soumise aux effets néfastes de la corruption. Ainsi, le rapport de l’enquête sur la « gouvernance et corruption en Haïti » commandée par l’Unité de Lutte contre la Corruption indique que le système judiciaire est un élément clé pour assurer la bonne gouvernance mais, en Haïti, les données recueillies reflètent la croyance que le système judiciaire est injuste et sujet à la manipulation de puissants intérêts et des élites. Le rapport de l’enquête mentionne que 84% des responsables des entreprises interrogés estiment que la justice n’est pas à utiliser parce que des juges reçoivent des pots-de-vin  » relate l’avocat et détenteur  d’un  master en relations internationales. Treize ans plus tard, malgré  l’injection de plusieurs  milliards de dollars par  les Nations Unies à  travers leur mission d’appui à  la justice  haïtienne  (MINUJUSTH) et d’autres ONG, la situation  n’a pas évolué et c’est la justice haïtienne  avec ses vieux démons qui a la lourde tâche de  mener l’enquête et d’appliquer les  sanctions prévues par la loi  à  l’encontre des auteurs et complices  de l’assassinat du  Président  Jovenel Moïse.

En pleine nuit, le 7 juillet 2021, le 58e président  de la République d’Haïti, monsieur Jovenel Moïse  a été assassiné  dans sa chambre. En lien avec ce dossier,  44 personnes  dont 18 anciens  militaires  colombiens, 12 policiers affectés  à  la sécurité  du Président, des responsables  de sa sécurité, deux américains  et un homme d’affaires d’origine  haïtienne vivant aux États-Unis ont été  arrêtés. Des mandats d’amener ont aussi été émis par le Parquet qui a dans son viseur une ancienne juge de la Cour de cassation, des pasteurs, un ex-sénateur et le président du PHTK. Transmis au Tribunal de Première  Instance  de Port-au-Prince le 4 août, le dossier a passé  des jours dans le cabinet du doyen avant de trouver preneur. Les juges craignant  pour leur sécurité.

Le juge Matthieu  Chanlatte qui a été  désigné  pour  mener l’enquête a jeté  l’éponge 72 heures plus tard pour des raisons de convenance personnelles a-t-il dit. « Nous nous déportons dudit dossier pour des raisons de convenances personnelles et ordonnons son retour au doyen de ce tribunal », a-t-il  indiqué.

Selon les informations  rapportées  par le  journal « Le Nouvelliste »  le juge a signé  cet acte de déport non pas parce qu’il faisait  l’objet de  menaces directes mais plutôt  à  cause de l’absence  des mesures d’accompagnement. « J’ai décidé de ne pas instruire le dossier parce que je ne dispose pas de moyens, principalement un dispositif de sécurité personnelle et pour ma famille » a confié  le magistrat qui n’a à sa disposition qu’un agent de sécurité.

« Le véhicule que j’ai est à mon service depuis plus de 10 ans. Il est actuellement au garage. À maintes reprises j’ai demandé au Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) un appui logistique » a-t-il fait savoir. Environ deux semaines après son déport, le juge Garry Orélien a été  chargé  de mener l’instruction.

Le 3 septembre, le juge Orélien a fait ses premiers pas dans l’instruction du dossier, sous hautes pressions. À  cause des détonations  d’armes automatiques dans la périphérie, il a été contraint  de  mettre l’audition du commissaire divisionnaire Jean Laguel Civil, ancien coordonnateur de la sécurité  présidentielle, en continuation pour le 7 septembre. Hier, l’audition n’a pas pu se poursuivre comme prévu.  La faute à  un problème  d’électricité au tribunal.

L’enquête  qui, selon certains  observateurs, avaient  mal débuté  a du plomb dans l’aile. Empêchés d’accéder à  la scène  de crime pour le constat légal, le juge de paix et les deux greffiers qui l’avaient  accompagné ont été obligés  de se cacher après  avoir reçu  des menaces de mort.

La complexité de la situation n’a pas pu décourager les  proches et alliés de Jovenel Moïse, qui appellent à  une enquête  internationale. Le  black out total sur le rapport du FBI contrairement à  celui de la Direction  centrale  de la Police  Judiciaire ne semble pas les déranger.

Deux mois plus tard, le Premier  ministre Ariel Henry est dans le collimateur de  la justice haïtienne. Le commissaire  du gouvernement, pressé  par  le Ministre  de la justice selon certains, est passé à l’acte. Les relations du chef du gouvernement  avec l’un des auteurs  de l’assassinat  y est pour quelque chose.

Selon le rapport du Réseau  National  de Défense  des Droits  Humains  (RNDDH) il aurait reçu un  appel de ce dernier quelques instants  après  l’accomplissement de  l’acte. Dans cet imbroglio  la justice haïtienne  tente de garder sa tête hors de l’eau.

En ce sens , le chef du Parquet de capitale a demandé au PDG de la Digicel de mettre à sa disposition des relevés d’appels pour une période allant du 1er au 15 juillet 2021 .Cette démarche vise le nommé Joseph Felix Badio, l’un des présumés suspects et l’actuel chef du gouvernement,  le Dr Ariel Henry.

La Digicel a confirmé que les deux hommes se sont entretenus au téléphone alors que le nommé Badio activement recherché pour son implication dans l’assassinat du président Jovenel Moïse se trouvait encore à proximité des lieux du crime. Une autre conversation téléphonique de plusieurs minutes à eu lieu entre les deux hommes un peu plus tard. Invité par le Commissaire du Gouvernement, le Premier Ministre Ariel Henry va vraisemblablement refuser de se présenter.

On ne compte plus les jours pour Jovenel Moïse  comme on ne compte plus  les mois pour Monferrier Dorval ni les ans pour Jean Léopold Dominique. Ces morts et tant d’autres  ne constituent que la pointe de l’iceberg  pourtant. La mort d’un Président en fonction  va-t-elle impulser enfin la réforme  tant souhaitée de la justice  haïtienne?

Stevens  JEAN FRANÇOIS


Aucun commentaire

Contributions

Aucun commentaire !

Soyez le premier à commenter cet article.

Même rubrique

Les articles de la même rubrique


Abonnez-vous à notre infolettre

Saisissez votre adresse e-mail pour recevoir une notification par e-mail de chaque nouvel article.

Rejoignez les 3 060 autres abonnés!

Appuyer sur la touche "Entrée" pour effectuer une recherche.

Articles populaires

Paramètre du site

Thème