Les cérémonies de graduation : un espace à revoir sous un angle dialectique

Quand les raisons les plus apparentes liées à la décision du ministre de l’éducation nationale au regard des cérémonies de graduation ne sont pas les plus évidentes, l’horizon des réflexions doit s’ouvrir.

Crédit Photo: SOS Villages
Les cérémonies de graduation : un espace à revoir sous un angle dialectique

Faut-il s’attaquer aux cérémonies de graduation plutôt qu’aux machines financières avec leurs lourdes conséquences sociales et économiques qu’elles entraînent? 

Une petite réflexion à l’adresse du ministre de l’éducation nationale et de la formation professionnelle d’Haïti : M. MANIGAT Nesmy sous l’impulsion des débats déclenchés par la frustration des uns et la colère des autres: une épistémologie sans sujet au sens de Popper K.

« S’abstenir de participer à l’édification de sa société est un signe manifeste de complicité à sa destruction » Frantzy GENARD 

Ecrire c’est vouloir être lu, c’est influencer, c’est donner son point de vue, c’est aussi tisser des liens. En d’autres termes, c’est jeter un pont entre soi et son interlocuteur M. le Ministre de l’éducation.

M. le ministre, du haut du respect de la noblesse de votre position et de celui de l’étendue confirmée du champ de votre savoir, je me suis senti dévoré par l’envie de vous adresser en débutant cette réflexion par l’interrogation inquiétante suivante : S’agit-il d’une absence de rationalité scientifique, d’une imprudence savante ou d’une faible capacité d’abstraction manifestée autour de cette problématique psycho-socio-économique et culturelle que représentent les cérémonies de graduation qui conduisent à votre décision? 

Parler de cérémonies de graduation aujourd’hui revient à hisser l’argent au premier rang, à le considérer comme le plus grand mal de la société, l’absolu pour certain, illusion pour d’autres, un moyen d’échange et d’enrichissement, un redoutable instrument d’exploitation et de domination qui forge et transforme la sensibilité humaine ainsi que la cruauté, etc. C’est le profil que semble esquisser ce que l’on désigne sous ce terme « l’argent » s’agissant de cérémonie de graduation de nos jours. 

En ma qualité de psychologue, professeur d’universités, chercheur et écrivain, je tiens toujours à accorder un certain dynamisme rationnel à la perception des choses et des réalités observées en voulant toujours œuvrer avec zèle et efficacité pour la cause du côté rationnel et multidimensionnel des phénomènes qui nous intéressent. L’être humain est hédoniste au sens qu’il est constamment en quête de plaisir. Les motivations de toutes ses activités tendent vers la recherche maximum de plaisir. Les cérémonies de graduation représentent plus qu’un espace de plaisir comme on l’aurait cru, c’est aussi un espace de renforcement des liens affectifs entre les membres d’une promotion, d’une société sous l’impulsion de l’amour vue comme principale force de cohésion de groupe probablement pour une dernière fois dans un même espace qui générera des souvenirs utiles au développement affectif, social, culturel et ceci ineffaçables. 

Graduer c’est plus que fêter puisque plein d’événements y sont associés. Par conséquent, le côté festif avec ses lourdes conséquences financières est le plus fort prisé dans notre société à force de diagnostiquer chez les parents et élèves avec une netteté effrayante l’innocence et l’ignorance de départ. Les parents demeurent toujours, peu ou prou, en prise avec les lourdes conséquences financières. Ainsi, s’agissant de graduation, ils posent d’entrée de jeu que le mal dû à l’insuffisance de moyen touche au nœud du désir de faire plaisir à leurs enfants plutôt que la volonté manifeste de fêter sans penser à la machine financière. Et, c’est bien sous cet angle qu’il faut s’attaquer aux cérémonies de graduation au niveau classique et non aux cérémonies en soi. Graduer c’est diviser en degré, c’est le passage d’un niveau à un autre. Ce passage exige une forme de transition qui aide à conserver certains souvenirs qui donnent du sens à la vie personnelle et groupale depuis des lustres et qui offre aussi un espace de consolidation du soi personnel et collectif.

Aucune réalité en soi ne peut être réduite à son unique caractère redoutable ou dérangeant. Ce ne sont parfois que les contradictions qui arrangent ou dérangent l’ordre de la vision ou de l’utilité des choses. Si la confection d’une bombe représente une menace pour la nature humaine, il n’en demeure pas moins vrai que toutes les utilisations qui s’y associent le sont. Cette bombe peut avoir autant d’importance qu’elle représente des menaces pour l’humanité. La compréhension la plus complète que l’on souhaite de la réalité dépend du développement de l’intelligence vis-à-vis des contradictions qui s’y attachent, elle exhorte aussi à l’intelligence de la négation. Il faut dès fois aux dirigeants une espèce d’intelligence collective développée à partir des compétences individuelles émanant de spécialités diverses en raison de la complexité de l’objet sur lequel porte leur réflexion telle, la décision actuelle du ministre. 

Fêter est un droit inaliénable, un besoin à satisfaire, un désir sans mesure manifesté et matérialisé au cours des cérémonies de graduation. Et, en tant que droit, il incombe au devoir et à la responsabilité de tout un chacun, s’agissant de l’autorité de l’Etat ou pas, de le respecter et de le faire respecter pourvu qu’il ne porte atteinte ni au devoir ni à l’intégrité de personne. Fêter témoigne un sentiment de satisfaction de soi personnel ou collectif par rapport à un projet accompli ou un objectif atteint, un désir, un état , un comportement, une attitude sur lesquels greffent un fantasme ou encore une quête de bien être probablement social, physique et surtout psychique. 

Les cérémonies de graduation revêtent aussi de tout un caractère dialectique, elles marquent à la fois la fin d’une étape et le début d’une autre, l’euphorie de vivre ensemble et l’angoisse de séparation, le désir inconscient de rester souder et la soif inconsciente de se séparer, la jouissance du début et la peur de la fin, la symbiose et l’antibiose des désirs, la satiété et le besoin de l’autre, l’angoisse de garder une partie du soi personnel ou collectif et la volonté inconsciente de perdre cette partie pour se lancer dans une nouvelle aventure. Ce sont en quelque sorte cette opposition des contraires qui explique le caractère dialectique des cérémonies de graduation et qui témoignent à leur tour leur complexité tout en invitant du coup le ministre de l’éducation à corriger son regard simpliste ou sa perception ordinaire de cet événement qui n’a rien en réalité à voir avec sa décision sinon que les conséquences qui en découlent qu’il faut prendre en compte parce qu’elles affectent profondément certains.

Faut-il s’attaquer aux cérémonies de graduation plutôt qu’aux machines financières avec leurs lourdes conséquences sociales et économiques qu’elles laissent derrière elles? 

M. le ministre, le plus grand mal causé par la décision n’est pas la décision en elle-même, mais les conséquences de l’ignorance banale des conséquences de la décision. Et, se taire, en tant qu’intellectuel, au nom d’un prétendu apolitique est la pire espèce d’ignorance à laquelle l’intellectuel doit se prémunir.

Il est un fait incontestable scientifiquement que vouloir éradiquer un phénomène ne consiste pas à s’attaquer au phénomène lui-même, par contre à ses causes ou à ses mécanismes responsables de son apparition. Le mal est dans le cœur des machines financières M. le ministre, c’est là qu’il faut aller le chercher et non dans les cérémonies elles-mêmes. Je vous observe en ces derniers temps, M. le Ministre, avancer avec une vigilance extrême dans vos initiatives, vos décisions. Cependant, cette décision semble n’avoir pas été à l’abri de l’inattention ou de l’imprudence et que cela peut se comprendre pour la simple et bonne raison que vous êtes humain et que l’erreur est inhérente à l’espèce humaine. M. le Ministre, cette décision, ne risque en aucun cas de nuire aux cérémonies elles-mêmes sinon qu’aux attentes des fêtards. Ce ne sont pas les cérémonies de graduation qui nuisent les parents M. le ministre, ce sont les machines de l’inflation, les machines d’exploitations financières qui roulent avec tellement de vitesse et d’imprudence qu’elles stressent ces derniers, elles les dépriment, les traumatisent. C’est à ces machines qu’il faut s’opposer et non aux cérémonies qui donnent du sens à la vie des élèves et qu’ils apprécient d’ailleurs. L’Etat en tant qu’organe régulateur détient tout le pouvoir de faire des cérémonies de graduation un événement social, culturel et symbolique qui ne nuit en aucun cas aux parents.

Les conséquences d’une telle décision sont multiples, autant individuelles que collectives. Elles sont à la fois individuelles et collectives parce qu’elles portent atteinte non seulement à la liberté individuelle de tous ceux et de toutes celles qui aimeraient profiter de ce grand jour de cérémonie de graduation, mais aussi à la volonté collective de s’organiser pour se donner du sens par rapport à la vie de groupe dans un contexte si spécial. Elle porte atteinte à la liberté affective, au registre qui permet de se comprendre les uns les autres pour une dernière fois ensemble, à l’envie de se lier peut être une dernière fois à ses paires dans l’intention de jouir d’une ambiance inégalable. Cette décision nuit au processus de construction du soi personnel et collectif, de l’identité, de l’estime de soi qui ne s’achève jamais.

Les cérémonies de graduation constituent un espace qui facilite le deuil d’avec un passé malheureux dans la vie de l’élève. Est-ce une stratégie de dissimulation de la faiblesse de l’autorité de l’Etat d’être si radical en s’attaquant aux causes apparentes du malaise et des péripéties des parents face aux cérémonies de graduation plutôt qu’à l’essence même du problème ? N’est-ce pas la faiblesse de l’autorité qui alimente les machines d’exploitation financière des cérémonies de graduation ? L’efficacité d’une décision trouve son ressort dans la volonté manifeste du respect témoigné à son égard par sa cible et son application. Le débat sur la rationalité de la décision ne peut être soumis au seul tribunal de votre ministère mais aussi et surtout à celui du troisième œil de la société (l’Université). Dr Jean Price Mars a jeté les bases de l’orientation et la vocation de l’élite et j’en suis fier d’être un héritier de son patrimoine intellectuel.

Espérant que ce texte se revête de surcroit intéressant à vos yeux de dirigeant conséquent M. le Ministre, bonne continuité.

Frantzy GENARD

Professeur d’universités 

Juin 2022


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