85 % des cadres haïtiens sont aux Etats-Unis et au Canada, a révélé Jacques Nési
L’insécurité, le chômage, les catastrophes naturelles, l’espoir d’un demain meilleur et tant d’autres raisons ont poussé des centaines de milliers d’haïtiens à prendre la décision de laisser le sol natal pour aller s’établir dans d’autres pays. Cette fuite massive des bras et des cerveaux, bien organisée par le Canada et les Etats-Unis, n’est pas sans conséquence sur la gouvernabilité et les chances de développement d’Haïti selon Monsieur Nési, membre du Laboratoire caribéen de sciences sociales.

Le 5 janvier 2023 l’administration Biden-Harris a lancé Humanitarian Parole. Ce programme prévoit de faciliter l’entrée aux Etats-Unis des ressortissants d’Haïti, de Cuba, du Nicaragua et du Venezuela. Durant deux ans, chaque mois 30 000 citoyens venus de ces pays pourront fouler le sol de la République à la bannière étoilée. L’annonce de ce programme a provoqué une forte effervescence tant sur les réseaux sociaux que dans le train-train quotidien du peuple haïtien. On a assisté à une forte affluence de personnes aux bureaux de l’immigration et de l’émigration. Des vidéos et des photos de foules de personnes tassées devant les locaux des services concernés pour obtenir leur passeport ont envahi l’espace médiatique haïtien. Des agences de presse internationales sont aussi entrées dans la danse.
RT France, branche francophone de la chaine internationale russe d’information en continu RT financée par l’Etat russe, a consacré du temps d’antenne à ce qu’elle a identifiée comme « une ruée des haïtiens vers les services concernés pour justement avoir un passeport et pouvoir migrer vers les États-Unis». Pour éclairer la lanterne de son audience, elle a fait appel à Jacques Nési, Politologue et membre du Laboratoire caribéen de sciences sociales (LC2S). Sans langue de bois, le docteur en Science politique a livré sa lecture du programme Humanitarian Parole qu’il a qualifié, d’entrée de jeu, de camouflet pour Haïti.
Fuyant l’insécurité et la fureur des gangs armés qui, chaque jour, gagnent du terrain, des centaines de milliers d’haïtiens, particulièrement de la région métropolitaine de Port-au-Prince et du Bas-Artibonite, ont dû laisser leur domicile. Certains sont allés s’établir dans d’autres zones du pays. D’autres ont pris la décision de s’éloigner du pays qui les a vus naître. Pour ces derniers, le nouveau programme de l’administration Biden-Harris est perçu comme une planche de salut. Jacques Nési, lui, voit la chose d’un autre œil. D’après lui, ce programme est une insulte pour Haïti, une tentative des États-Unis de repousser un problème auquel ils ont contribué.
Pointant du doigt le soutien de l’administration Biden-Harris à Ariel Henry qui selon ses mots est un «premier Ministre qui n’est ni légitime ni légal », qui « n’arrive pas à répondre aux défis de la population», Monsieur Nési est revenu sur la situation du pays. « Le principal défi d’Haïti est de répondre à l’extension des gangs criminels qui essaiment les différents pourtours de la capitale et qui empêchent aux haïtiens de vivre. Un haïtien aujourd’hui en Haïti, la vie pour lui est insupportable parce que non seulement les gangs règnent en maître en toute impunité, deuxièmement il y a une sorte de connivence entre les gangs et l’Etat haïtien. Et puis, troisièmement, il faut reconnaitre qu’il y a aussi une progression de l’économie criminelle c’est-à-dire une économie qui est axée sur la vente d’armes, les enlèvements, le trafic d’organes, le trafic de cocaïne et tout ceci dans un chevauchement entre les logiques d’intérêt publique et logiques d’intérêt privé » a-t-il fait savoir.
Les États-Unis ne facilitent pas les choses. « L’administration Biden ne concourt pas à une solution nationale […] Alors toute solution qui n’est pas agréée par les États-Unis a du mal à atterrir et c’est là où se trouve le problème. Donc c’est une façon pour les américains de se dédouaner d’une part en permettant d’affaiblir la contestation populaire contre le gouvernement et deuxièmement en répondant à une attente très forte des haïtiens parce que les haïtiens fuient depuis les quatre dernières années. D’une part vers le Chili, le Brésil et maintenant depuis les deux dernières années par les États-Unis d’Amérique en risquant leurs vies en traversant le fleuve de Rio Grande » a poursuivi le membre du LC2S.
Les États-Unis, avec ce programme, cherchent à cacher la poussière sous le tapis selon le professeur à l’Université des Antilles. D’après ce dernier, l’administration en place « repousse un problème auquel il a contribué parce que l’administration Biden non seulement est responsable de la crise parce qu’elle fait obstacle à toute solution qui ne ménage pas les intérêts américains. Deuxièmement est responsable aussi parce que la domination des États-Unis en Haïti, il faut le remarquer, depuis 1915 est asphyxiante et même étouffante pour toute solution nationale. Ensuite, responsable également parce les États-Unis savent très bien d’où viennent les armes parce que la majorité des armes viennent des États-Unis d’Amérique et puis de l’autre ne concourent pas à une solution nationale en externalisant la question haïtienne par exemple en confiant au Canada la possibilité d’intervenir. Or, il éprouve toutes les difficultés du monde à réaliser cette mission ».
Outre la responsabilité des États-Unis dans la situation actuelle du pays, le membre du LC2S qui comme laboratoire entend se constituer en pôle de référence de la recherche en sciences humaines et sociales spécialisée dans l'étude de l’espace Caraïbe-Amérique en privilégiant une démarche interdisciplinaire, a mis en évidence combien elle est avantageuse pour le Canada et les États-Unis. La fuite des haïtiens fait les choux gras de ces pays, particulièrement. « Cette fuite [la fuite des bras et des cerveaux haïtiens, ndlr] est bien organisée, d’ailleurs le Canada y participe. Il y a plus de médecins haïtiens au Canada qu’en Haïti. [..] 85 % cadres haïtiens sont tous aux États-Unis d’Amérique et au Canada donc là encore c’est un appel d’air qui va créer un déficit en terme de main d’œuvre, de cadre de qualité. Il ne faut pas l’oublier, il y a dix ans de ça, le tremblement de terre aussi a contribué à la disparition de certains nombres de cadres, ajouté à cela le Canada qui constitue une sorte de pompe asphyxiante, aspirante pour les cadres haïtiens et, là encore, et les États-Unis » a mis en exergue Monsieur Nési en indiquant les conséquences de cette exorde massive sur Haïti. « On voit bien qu’on est à côté d’une vraie solution qui favoriserait non seulement les chemins de la gouvernabilité en Haïti mais aussi les chemins de son développement » a-t-il conclu.
Selon les données récemment transmises par CNN, près de 2000 haïtiens ont déjà été élus pour entrer aux États-Unis dans le cadre du programme baptisé Humanitarian Parole. Les fils et filles d’Haïti continuent à la laisser et l’administration publique va en pâtir. Une source digne de confiance a révélé au journal que lors de la dernière opération réalisée en décembre 2022 et visant à combattre les « chèques zombis » dans l’administration publique plus de 20 000 employés n’ont pas pu se présenter pour récupérer leur chèque. Les chèques non-livrés sont, entre autres, ainsi répartis : cadres de l'administration: plus de 500 ; Ministère de l’Education Nationale et de la formation Professionnelle: plus de 3 000 ; Police Nationale d'Haïti: 1 300 et Ministère de la Santé Publique et de la Population: 1 600. L’administration privée souffre aussi de cette vague migratoire. Combien de cadres vont laisser le pays pour aller s'établir aux États-Unis dans le cadre du nouveau programme américain? Combien iront s'établir au Canada?
Cette décision aura certainement de lourdes conséquences sur le pays. À qui la faute ? Sûrement pas ceux qui cherchent à jouir de leurs droits fondamentaux sous d’autres cieux !
Stevens JEAN FRANÇOIS
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